Création d’une équipe soudée et dédiée à la reconstruction du Ministère Public.
Conclusion d'une convention de politique criminelle avec le Conseil d'Etat définissant deux priorités (lutte contre les violences et les cambriolages) et huit axes principaux, qui a conduit à une augmentation de 60% du nombre des contrôles de police et de 30% du nombre des arrestations.
Durcissement des sanctions en matière de trafic de stupéfiants, de circulation routière et d'infractions économiques.
Etablissement de sanctions sévères pour les délinquants multirécidivistes sans titre de séjour (trafic de stupéfiants, vols, agressions, etc.), lesquelles ont entraîné une baisse du nombre des délits de rue et des cambriolages.
Augmentation de plus de 20% de l’effectif des magistrats permettant aux procureurs d’approfondir le traitement des procédures.
Mesures organisationnelles permettant un traitement accéléré des procédures de masse (3000 procédures traitées en 2013 par un greffe spécialisé, déchargeant d'autant les procureurs).
Au Ministère public, chacun se sent naturellement investi d’une mission : la lutte pour le respect de la loi
Olivier Jornot est candidat à sa réélection le 13 avril prochain. Pour six ans de plus à la tête du Ministère public, qu’il reconstruit avec son équipe depuis avril 2012. Un sentiment de confiance retrouvée et de reconnaissance semble désormais se dégager à la simple évocation du nom du Procureur général. Même lorsque, le plus souvent, on en sait en vérité assez peu de lui, de son travail. Sans détour, il nous en dit plus sur son action, ses réalisations, sa vision.
Olivier Jornot, depuis votre arrivée, le Ministère public paraît comme apaisé. Mieux encore, il a retrouvé son efficacité, affichant par exemple un taux global d’affaires traitées impressionnant, en hausse de 32% sur la seule année 2012. Quelle est votre recette ?
Pour l’essentiel, je me suis efforcé d’organiser le travail du Ministère public de manière à ce que chacun, magistrats et collaborateurs, puisse accomplir sa tâche dans les meilleures conditions possibles. Les efforts accomplis se sont traduits, à l’échelle de l’institution, par une amélioration de la situation, qui n’aurait toutefois pas été possible sans l’octroi de moyens supplémentaires.
C’est donc principalement grâce à l’engagement de tous les acteurs du Ministère public que la sérénité a pu revenir. A vrai dire, je n’ai moi-même jamais autant travaillé ! La vision de la politique pénale a ensuite joué un rôle, dans un second temps. D’ailleurs, notre institution possède une très forte identité, sans qu’il ne soit besoin de chercher à susciter l’adhésion par d’autres moyens. Au Ministère public, chacun se sent naturellement investi d’une mission : la lutte pour le respect de la loi.
Vous avez évoqué la « vision » du Procureur général en matière de politique pénale. Quelle est la vôtre ?
Ma vision peut se résumer en deux points. D’une part, j’ai considéré qu’il fallait renforcer la dureté de la réponse pénale pour faire en sorte qu’elle n’incite pas à s’adonner à la criminalité. D’autre part, il m’a paru essentiel de cesser d’opposer, par exemple, la lutte contre l’insécurité de rue et la lutte contre la criminalité économique. Ces deux dimensions se complètent. Il faut toutefois être conscient que le pouvoir du Procureur général a ses limites. Depuis l’entrée en vigueur du Code de procédure pénale fédéral, le 1er janvier 2011, le principe de la légalité a remplacé celui de l’opportunité. En clair, toutes les infractions qui parviennent à la connaissance du Ministère public doivent être poursuivies. L’époque où le Procureur général pouvait éventuellement décider que certaines infractions ne devaient pas faire l’objet de poursuites est donc révolue.
La marge de manœuvre du Procureur général est par contre bien réelle dans la répartition des ressources au sein du Ministère public et dans la détermination des sanctions de faible gravité. Pour les actes graves, par exemple un homicide renvoyé devant le Tribunal criminel, les procureurs ont toute liberté de requérir, au cas par cas, la peine qui s’impose. Tout dépendra du dossier, des circonstances. En revanche, en matière de petit trafic de stupéfiants ou d’infractions aux lois sur la circulation routière ou sur les étrangers, les sanctions font l’objet de barèmes, édictés par le Procureur général.
On a beaucoup parlé de la convention conclue avec le Conseil d’Etat à l’été 2012. Le gouvernement et le Ministère public ont affiché leur volonté de mener une action coordonnée et de fixer des priorités. Quel bilan en tirez-vous ?
Huit axes de politique criminelle ont été définis, parmi lesquels deux ont été jugés prioritaires : la lutte contre les violences et la lutte contre les cambriolages. C’est aussi la première fois que l’on a convenu que la migration illégale devait recevoir une réponse pénale appropriée. Il s’agit d’un point important de cette convention.
Si l’on s’en tient aux chiffres de la police, qui montrent notamment que les contrôles ont augmenté de 60%, les arrestations de 30% et qu’au final le nombre de cambriolages et de violences a baissé en 2013, il apparaît que l’efficacité de l’action de la police et du Ministère public a augmenté depuis 2012. Schématiquement, la baisse de la criminalité s’explique par le déplacement vers Champ-Dollon d’environ 200 à 300 délinquants, jusqu’ici en liberté.
Revenons-en à votre action et aux barèmes de sanctions. Qu’est-ce qui a changé depuis votre arrivée ?
Concrètement, j'ai par exemple adopté un barème plus sévère que celui qui existait jusqu'alors en matière de petit trafic de stupéfiants. La quantité de stupéfiants détenue par le prévenu, sur laquelle se fonde le barème, détermine la sanction à appliquer. Par ailleurs, pour accompagner le durcissement de la loi fédérale sur la circulation routière, j'ai relevé les sanctions applicables aux délits routiers. Dans ce domaine, nous avons dû faire face à une situation genevoise non conforme au droit, car certains délits étaient traités comme de simples contraventions. Enfin, j’ai également durci les sanctions applicables à l'alcool au volant.
Dans le domaine de la loi fédérale sur les étrangers, il n’existait aucun barème. Suite à l’accord avec le Conseil d’Etat de 2012, nous avons mis au point, avec les premiers procureurs, une directive permettant de sanctionner les délinquants multirécidivistes en situation irrégulière. C’est un instrument complexe, car il distingue, c’est fondamental, différents types de situations : les multirécidivistes écopent désormais de peines de prison, tandis que les personnes qui n’ont pas commis d’autre infraction que de se trouver sans titre de séjour sur le territoire suisse et travaillent « au noir » par exemple, ne sont punies que de jours-amende et ne sont donc pas envoyées à Champ-Dollon. Cette nouvelle directive permet d’intervenir efficacement, alors que nous aurions besoin de forces de police en très grand nombre pour opérer ces arrestations sur la seule base d’infractions au Code pénal ou à la loi sur les stupéfiants, qui nécessitent la plupart du temps de prendre l’auteur en flagrant délit. En somme, les personnes peuvent certes être arrêtées sur la seule base de la loi fédérale sur les étrangers, mais elles ont soit un lourd passé pénal, soit n’ont pas d’autres moyens de vivre que de s‘adonner à la délinquance. Je note d’ailleurs qu’une part importante des cambrioleurs sont des auteurs occasionnels comptant parmi ces délinquants. La nouvelle pratique a donc eu un effet positif non seulement sur les vols et les violences, mais aussi sur le nombre de cambriolages.
Votre adversaire, Pierre Bayenet, vous reproche justement une trop grande sévérité. Il propose par exemple de faire recours plus systématiquement au travail d’intérêt général et à l’assistance de probation en lieu et place des peines de prison. Que lui répondez-vous ?
Pierre Bayenet semble avant tout méconnaître son sujet et se tromper d’élection. On ne peut tout simplement pas légalement recourir au travail d’intérêt général dans le cas de délinquants qui n’ont ni titre de séjour, ni domicile en Suisse : le Code pénal actuel ne le permet pas. Mais surtout, une réponse pénale qui consisterait à fournir à des multirécidivistes en situation irrégulière un travail et un logement, comme le propose mon adversaire, serait-elle bien sérieuse ? Retirer des moyens à la prison pour en allouer au social n’est pas de la compétence du Procureur général, mais constitue un choix politique du ressort du Conseil d’Etat et du Grand Conseil.
Nous ne recourons donc pas trop à la prison ?
Non. Nous connaissons un problème de sous-dotation en termes de places, car Genève accuse un grave retard au niveau des infrastructures dans le domaine pénitentiaire : Cento Rapido mis à part, rien n’a vraiment évolué depuis l’ouverture de Champ-Dollon en 1977. Des projets cohérents ont toutefois été lancés en 2012. D’une manière générale, le taux d’incarcération reste très bas en Suisse et à Genève ; ailleurs en Europe, on emprisonne nettement plus. Et on ne parle pas des Etats-Unis.
Parvenez-vous à traiter vous-même certains dossiers ?
Je suis membre de droit du Conseil supérieur de la magistrature et de la Commission de gestion du pouvoir judiciaire, que je préside. La commission de gestion est notamment chargée de l'ensemble du personnel du pouvoir judiciaire et de gérer son budget. On peut aussi ajouter les séances de direction avec mon équipe de premiers procureurs et un certain nombre d’autres obligations. Ces activités font partie des missions du Procureur général et occupent une partie non négligeable de mon temps.
Toutefois, je m’investis personnellement dans les procédures dites « présidentielles », à savoir le traitement par le Procureur général des plaintes dirigées contre la police, les avocats, les journalistes et les politiciens. Cela représente un nombre élevé de procédures, qui m’a donné l’occasion d’acquérir une vue d’ensemble et de nouvelles compétences techniques me permettant d’instruire moi-même n’importe quel dossier et de soutenir l’accusation devant les tribunaux le cas échéant.
En termes d’organisation, quels sont les progrès accomplis depuis 2012 ?
J’ai tout d’abord constitué une équipe soudée de premiers procureurs animés par une forte volonté de participer à la reconstruction du Ministère public. Nous avons alors entrepris de formaliser un certain nombre de processus, en édictant des directives, tant en matière de politique criminelle, comme je l’ai déjà dit, qu’en matière d’organisation.
J’ai ensuite constitué un greffe des procédures de masse afin que les procédures répétitives puissent être traitées efficacement, de manière centralisée. En 2013, cela a représenté plus de 3000 procédures. Ce greffe permet de décharger les procureurs et d’assurer une meilleure égalité de traitement entre les justiciables, qui se voient appliquer le même barème. Ce système est particulièrement approprié et efficace en matière de circulation routière.
Le fonctionnement du Ministère public s’est aussi amélioré grâce à l’octroi de moyens supplémentaires. A mon arrivée, j’ai obtenu un crédit pour la création immédiate de 10 postes de greffiers et de 5 postes de greffiers-juristes, pérennisés au budget 2013. Le budget 2014 prévoit par ailleurs la création de 19 nouveaux postes.
J’ai dans le même temps sollicité une augmentation du nombre de procureurs. Le Conseil d'Etat a accepté de proposer au Grand Conseil une augmentation de huit postes, faisant passer leur nombre de 35 à 43. Quatre nouveaux procureurs sont entrés en fonction le 1er juillet 2013 et les quatre autres le 1er janvier 2014. Il a résulté de cette augmentation de plus de 20% de l'effectif des magistrats une baisse sensible du nombre de procédures par procureur, ce qui leur permettra à l’avenir d'approfondir davantage le traitement des procédures qui le requièrent et de remplir leurs tâches dans le cadre d'un horaire normal pour un magistrat, qui restera toujours plus lourd que celui des collaborateurs de l’Etat.
Disposez-vous désormais de moyens suffisants ?
Nous pouvons voir l’avenir plus sereinement, même si les moyens de la justice – à peine plus de 2% du budget de l’Etat – restent modestes à Genève. Pour gagner en efficacité et allouer les ressources de la manière la plus rationnelle possible, mon objectif consiste, à terme, à fonctionner par « trinômes » composés d’un procureur, d’un greffier-juriste et d’un greffier. Augmenter le nombre de procureurs implique un coût important ; c’était nécessaire suite à la réforme fédérale. Il importe que ces magistrats disposent d’un soutien adéquat, sans quoi ils se trouvent accaparés par la rédaction d’actes de peu d’importance et par des tâches administratives.
L’élection du Procureur général par le peuple, une institution désuète ?
C’est une particularité européenne que de devoir faire preuve d’apolitisme au quotidien, avant d’être appelé à descendre dans l’arène pour retourner ensuite aux affaires comme si rien ne s’était passé. Une fois qu’on franchit les portes du Ministère public, on fait certes de la politique pénale ou criminelle, mais pas du tout de politique partisane. Ce système a toutefois été voulu par le constituant, de sorte qu’il doit y avoir débat durant la campagne électorale, la population étant en droit de poser des questions et d’obtenir des réponses. Il convient en revanche de ne pas entrer dans des schémas politiques classiques, en gardant une certaine distance. Un exercice tout à fait délicat.
Comité de soutien à Olivier Jornot
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Fax: 022 818 42 40
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